Non, nous ne sommes pas arrêtés à un passage à niveaux, mais tout simplement au départ du Paris-Dakar 1990, le 12e du nom. La relation ? Elle se fera d'elle-même au fil de l'épreuve. Mais retournons quelques secondes en arrière.
Peu de temps après l'arrivée du Dakar 1989, la nouvelle réglementation aurait obligé Peugeot à refaire entièrement de nouvelles voitures. Pour prouver quoi ? Les voitures ont tout gagné... Peugeot décide de "rester sur la touche". Les pilotes sont remerciés et libres de leur avenir.
Jean Jacques Poch, importateur de Lada en France, se précipite immédiatement sur Jacky Ickx. Tout le monde connaît les catastrophiques résultats de Lada en rallyes. Et alors, Jacky, vous voulez encore vous prendre une pilule ? Euh... non, pourquoi ?
Ce vieux renard arrive chez Lada, rien dans les mains, rien dans les poches, mais le "dernier étage" est prêt à exploser. Jacky Ickx dévoile à J.J. Poch son projet : L'arme anti Peugeot. Sur la base de la Lada Samara, Jacky a conçu lui-même le cahier des charges d'un prototype équipé du moteur Porsche de 3,6 litres de la Carrera 4. La suspension Porsche, elle aussi, renforcera la structure essentielle de cette voiture dont la réalisation sera confiée à Hugues de Chaunac. Pendant ce temps, la F.I.S.A. revient sur sa décision, et Peugeot prend part à la course. Le projet de Ickx étant accepté par Lada, l'idée de retourner chez Peugeot n'effleure pas l'esprit du Belge : "Le projet est trop captivant, nous avons entièrement conçu cette voiture. Nous aurons certainement des difficultés, mais c'est passionnant".
Jacky Ickx est-il encore marqué par le Pile ou Face de l'an dernier ? " Pas du tout. Christian Tarin, mon coéquipier, amateur à l'état pur, a très mal encaissé. Moi, des consignes de course, dans ma carrière, j'en ai vécu de toutes sortes, ce n'était qu'une de plus. Seule l'originalité était à retenir".
Chez Peugeot donc, Waldegard prend la place de Ickx. Ambrosino et Wambergue compléteront l'équipe sur des 205 turbo16. Quant à Vatanen, autant dire qu'il a déjà gagné le Paris-Dakar 1990. Ce ne sont, ni les 11 Mitsubishi (7 prototypes et
voitures "améliorées") qui vont impressionner le Finlandais au volant d'une 405T16 toujours aussi écurante de fiabilité.
Mis à part l'impact publicitaire, les deux prologues Français (Paris et Marseille) donnent lieu (précisément à Marseille) au premier coup de théâtre du rallye : Tambay abandonne suite à la casse du moteur de sa Lada. Autant dire qu'au cours de la première spéciale, Ickx et Rivière, vont rouler à cadence réduite guettant le moindre bruit suspect. Vatanen par contre, se bouche les oreilles et fonce. Après la première étape de mise en jambes, 60 kilomètres de dunes géantes attendent les concurrents. Les Peugeot passent sans problèmes bien sûr. Ce ne sont pas les dunes qui vont retarder Jacky Ickx, mais une rotule de direction cassée. Pas de pièce de rechange, pas d'outillage adéquat... 7 heures d'attente et 2 heures de réparation, le bilan de la 2e journée est très lourd. Hier en 4e position, le voilà aujourd'hui à la 149e place. Sans parler de l'abandon de Tambay et des problèmes de pont de Rivière, l'équipe Lada ne croyait pas se faire remarquer si tôt. Ce gros coup dur passé, ce ne seront que des petits problèmes d'apprentissage, qui barrent la route des Lada et ce n'est que justice si maintenant Jacky se place maintenant 8e, 4e et 6e aux classements d'étapes. Les Peugeot, réalisent des triplés ou quartés, avec au moins 30 minutes d'avance sur leurs poursuivants... s'il y en a ! Une course dans la course.
Si Jacky était chez les "Lionnes", il ne mangerait pas la poussière des autres voitures et quelle bagarre se déroulerait avec Ari ! Enfin ! Et après tout, va savoir ? Ah ! Enfin une étape de navigation. Les "lions" n'étant pas habitués à réfléchir, en fin de parcours on va peut être voir apparaître de nouvelles têtes. Effectivement, c'est le Japonais Shinosuka sur Mitsubishi qui remporte la première étape "non-Peugeot" devant Wambergue et Jacky Ickx. Pour savourer cette performance, accordons-nous une journée de repos. Le classement à Agadez nous donne les quatre Peugeot en tête : Vatanen, Wambergue, Waldegard, Ambrosino, puis à 4h48 Cowan sur Mitsubishi, Jacky étant à 15 heures de son
ancien coéquipier ! A noter que dans le clan Mitsubishi, seuls Cowan et Shinosuka se maintiennent derrière les Peugeot, les autres concurrents se sont éliminés tous seuls par manque de sagesse. Bon comportement enfin de "L'araignée des sables" d'Auriol classé 9e, et du Range de Pescarolo classé 10e. Les concurrents repartent pour un deuxième tronçon qui nous promet une course aussi monotone que pour la première partie. Par chance, bien que l'armada Peugeot soit hors de portée au classement général le rallye va connaître son fait divers, qui va nous permettre de nous réveiller un peu. Peugeot a déjà participé 3 fois au Paris-Dakar et il y a eu 3 "affaires Peugeot". La première année, après avoir été rattrapé par un hélicoptère inconnu de l'organisation, pour être filmé pour un document publicitaire, Métha, avait fait subitement demi-tour pour aller dépanner, 50 km en arrière, Vatanen qui était aux portes de l'abandon. La deuxième année c'était le vol de la voiture du leader Vatanen. La troisième année c'était le pile ou face entre Ickx et Vatanen. Alors cette année, Peugeot allait-il imaginer une bataille rocambolesque parmi les
voitures de tête ? Elle avait le choix, puisqu'elles étaient quatre. Pourtant, non. C'est l'organisation Peugeot elle-même, qui va se trouver prise au piège... par hasard en plus. A 22 heures 30, tous les jours, pour le compte-rendu de l'étape, une séquence "couleurs locales" diffuse un petit reportage sur un agriculteur, un ferrailleur, une oasis surprenante en plein désert, un petit village sympathique... Des journalistes arrivent précisément dans un petit village, en amont du rallye et découvrent, embusqué, un camion d'assistance Peugeot qui avait été mis hors course six jours auparavant. Ils s'apprêtent à interpeller les occupants, lorsqu'une voiture locale...une Peugeot 505 s'approche du camion. Quelques secondes de conversation et le camion s'éloigne plein gaz. La scène est passée et plus que commentée à la télévision, mais à l'organisation du rallye : Moi ? J'ai rien vu ! Cette situation de course est formellement interdite par le règlement et toute l'écurie Peugeot devrait être mise hors course sur-le-champ. Mais les "lions" poursuivent leur course comme si rien ne s'était produit. Même Jean Todt, n'était pas au courant de l'existence de ce camion Ah ! Ah ! Ah ! Parions que si l'an prochain, Peugeot participe au nouveau Dakar, les "petites annonces" vont aller bon train : "cherche scénario pour fin d'épreuve".
Revenons à la course et, constatation plus intéressante, la présence de Hubert Auriol qui figure régulièrement parmi les cinq premiers à chaque arrivée d'étape. Egalement le second souffle des Lada de Rivière et surtout de Jacky Ickx, 3e de l'étape de Tombouctou et 2e de l'étape de Néma. Nous sommes au départ de l'étape qui devrait changer beaucoup de choses au classement général. La célèbre "passe" de Néga où un "goulet" unique au milieu de centaines d'autres pistes ouvre, à lui seul, la voie vers Dakar. Le Paris-Dakar n'est pas seulement une épreuve de vitesse. Pour gagner, il faut savoir s'arrêter, regarder, réfléchir, puis foncer. Vatanen n'est pas fait pour ça. "Je
n'ai pas compris ce que faisaient les quatre Peugeot", affirme l'organisateur de la course à sa descente d'hélicoptère, "au lieu de prendre le bon chemin pour franchir la passe, elles ont poursuivit tout droit vers un cordon de dunes difficilement franchissable, alors rendez-vous compte, avec la pluie en plus". Vous avez dit la pluie ? Et oui il pleut sur le Dakar. Je crois que c'est la première fois que les concurrents utilisent leurs essuie-glaces sur cette épreuve. Résultat, Ambrosino et Waldegard perdent 1 heure 40, Vatanen plus de 2 heures et par contre Wambergue, restera ensablé, ne permettant pas à Peugeot de réaliser un quarté gagnant. Auriol et Pescarolo s'ensablent eux aussi et cassent leurs moteurs.
Et le vainqueur ? Quoi, le vainqueur ? On s'y attendait depuis quelques jours, les Lada ont oublié leurs problèmes de jeunesse et aujourd'hui, c'est du vrai Jacky Ickx que nous avons vu. Pourtant le bruit courrait comme quoi Jacky aurait manqué un contrôle. "En fait, la voiture a terminé à 17 heures 30, alors que l'organisation avait estimé, sans compter sur la pluie en plus, que la première voiture ne pouvait terminer l'étape avant 17 heures 34". Jacky Ickx était allé plus vite que le temps imparti. Encore une fois il se distingue par un exploit. "C'est une formidable récompense pour l'équipe" confiait Hugues de Chaunac qui n'en croyait pas ses yeux, d'autant que Rivière terminait deuxième à 45'de Jacky. C'est ainsi que cette seule étape permet à Jacky Ickx de se retrouver 6e au général, et Rivière 11e. Enfin une place qui correspond un peu mieux à leurs valeurs.
La veille de l'arrivée, la malchance ne va pas épargner Jacky Ickx, qui, en panne dès le 60e km va perdre une heure et rétrograder à la 7e place au classement général à 11 heures 40 du vainqueur... Ari Vatanen. Jérôme Rivière sur la deuxième Lada termine 10e à 14 heures 21. Deux Lada sur trois rejoignent Dakar.
Avant de terminer ce chapitre, je voudrais ajouter quelques lignes "parallèles" à l'épreuve que j'ai beaucoup apprécié au cours des reportages télévisés.
La chaîne de télévision "La Cinq" nous propose chaque jour des temps de reportage de plus en plus longs et d'avantages d'images saisissantes. Cette année les responsables de la chaîne, ont eu la merveilleuse idée de nous mettre en contact radio avec le Mitsubishi PX33 n° 291 du chanteur Gérard Lenorman, qui nous chante quelques couplets de sa chanson bien connue : La balade des gens heureux. Tout à coup, il n'a pas fini de dire un mot de sa chanson, qu'on l'entend hurler à son pilote "à droite, à droite... et puis bon allez les gars, je vous laisse, il faut que je travaille"... Fabuleux !
Le lendemain on remet ça, et c'est le pilote de la Lada n° 213 que l'on met à l'épreuve. 213 vous avez dit ? Mais, c'est mon copain Jacky Ickx ! Alors lui c'est mieux, car il conduit, suit les instructions de son copilote et nous
raconte, en entier, la fable du corbeau et du renard... en Belge, s'il vous plaît. Alors ce qui m'a plu dans ces interventions, ce n'est pas tellement d'entendre Gérard chanter ou Jacky réciter (bien que nous ayons passé d'agréables moments), mais c'est bien sûr leurs réactions morales vis à vis de l'épreuve. Leur façon de s'écarter du professionnalisme et de nous faire savoir qu'ils sont là aussi pour nous.
Quelle formidable sensation de survoler cette voiture qui file à 170 km/h, se dandinant dans les traces de sable mou, de voir cette voiture, sauter, rebondir, louvoyer, éviter un obstacle, et d'imaginer son pilote qui en contrôle et corrige sans cesse la trajectoire.
Comment ne pas être admiratif devant ces images quand on sait que c'est le Numéro Un du sport automobile qui se prête au jeu de se déconcentrer quelques minutes pour tout simplement raconter une histoire en Belge. Je n'imagine pas Vatanen raconter La cigale et la fourmi... professionnel oblige !
Bravo La Cinq, merci Gérard. Que dire de plus pour mon idole ? Merci aussi tout simplement, de toute façon il est tellement Ickx'exceptionnel ce Jacky, que plus rien ne me surprend de lui. Le 12e Paris-Dakar est terminé, Lada a montré le bout de son nez. Souhaitons que cette Samara T 3 cache tout simplement une T 4 qui permette à Jacky Ickx de remporter un deuxième succès dans cette grandiose épreuve. Il y est passé un trop grand nombre de fois à coté. Merci Jacky pour votre parcours 1990, qui confirme encore et toujours votre inépuisable talent.

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